Pierre-Emmanuel Lepers Valame Christophe Deboffe
Rendez-vous avec... Pierre-Emmanuel Lepers, co-fondateur de Valame
Posté par : Martine Chartier 02.05.2022 à 15h55
L’interdiction de l’amiante dans ses différents usages d’isolation, de couverture etc. date de janvier 1997. Depuis, et compte tenu de sa nocivité, ce matériau est interdit d’usage et doit être retiré des différents lieux où il se trouve. Les déchets amiantés sont souvent déposés en centres de stockage des déchets dangereux. Les volumes et les coûts de stockage ont favorisé la recherche des voies de traitement et de valorisation. C’est l’objet de la création de la société Valame et de la première usine pilote installée en mars dernier dans le Nord.
A la tête de ce projet, Pierre-Emmanuel Lepers, ingénieur Centrale Supelec. Après avoir piloté pendant huit ans des infrastructures ferroviaires en région bordelaise, il souhaite reprendre ou créer une entreprise. « J’avais un certain tropisme pour tout ce qui est matériau biosourcé dans un environnement industriel. » Ses recherches le conduisent à rencontrer Christophe Deboffe, président du bureau d’ingénierie conseil Néo-Eco situé à Haubourdin (Nord), qui détient une licence d’exploitation d’un procédé destiné à l’extraction du magnésium et de la silice des déchets d’amiante.
En incubation chez Néo-Eco, le projet Valame va conduire à l’association des deux structures.
Pierre-Emmanuel Lepers rejoint Lille, sa terre natale, afin de prendre la tête d’une équipe dédiée. « Nous sommes dans l’économie circulaire sur des sujets déchets dangereux, dans une région de culture industrielle. Cela m’a permis de profiter de l’écosystème de Néo-Eco avec des partenaires industriels. »
Sobre et rapide
La technologie retenue est le fruit des recherches conduites par le Laboratoire de Génie Chimique/CNRS de Toulouse et le procédé développé par Michel Delmas et Ghislain Denis pour extraire le magnésium et la silice des déchets de silicate de magnésium, plus connu sous le nom d’amiante.
Le procédé recourt à l’acide chlorhydrique qui s’attaque aux fibres d’amiante dans un réacteur porté à une température de 90-100°C pendant 30 à 60 minutes. Une voie qualifiée par le dirigeant de « sobre et rapide ». L’énergie nécessaire est moins importante comparativement à d’autres procédés comme la torche à plasma.
En amont, le tri des déchets entrants s’accompagne d’une vérification de l’homogénéité des lots. Une étape de broyage génère des éléments de l’ordre du millimètre. En sortie du réacteur, les produits générés, le magnésium et la silice, présentent un bon potentiel de valorisation.
Passer au stade industriel
Avec le démarrage de l’usine pilote dont la capacité de traitement est d’une tonne par jour, Néo-Eco a caractérisé les résidus en sortie et les analyses ont conclu à la disparition de toute trace de nocivité dans les produits. Des laboratoires d’analyse indépendants agréés par le comité d’accréditation COFRAC ont validé la disparition de l’amiante.
« L’objectif est de tout tester avec cette usine, précise Pierre-Emmanuel Lepers : les modes d’organisation, les mises en forme de l’amiante. » Quatre clients différents sont testés avec des produits différents : dalles de sol, résidus de ponçage du sol support, béton de ragréage, ponçage d’enduits amiantés, carrelages, ardoises fibrociments… L’installation est exploitée par un chef d’usine et un opérateur.
Après formulation, les produits issus du traitement pourraient connaître différents usages, qu’il s’agisse de technique routière ou en adjonction à des ciments. Les chercheurs du CNRS ont ouvert la voie à d’autres usages*.
Le dirigeant de Valame espère pouvoir passer à l’échelle industrielle dès cette année. Le marché du déchet de l’amiante a besoin d’une solution qui soit bon marché, compétitif avec le prix de l’enfouissement et les capacités des centres de stockage.
Le prix du traitement et la facilité du recours pour détruire la partie nocive des fibres d’amiante sont les deux priorités de Pierre-Emmanuel Lepers. Pour obtenir une économie d’échelle, « notre ambition est de lancer plusieurs projets de construction d’usines de grande taille en France, d’une capacité d’environ 15.000 tonnes chacune (soit approximativement 50 tonnes par jour) ». Pour ce faire, Valame est à la recherche de partenaires, industriels du déchet ou industriels de la chimie.
*Michel Delmas et Ghislain Denis, les deux scientifiques du Laboratoire de Génie Chimique (LGC) de Toulouse, indiquent que le magnésium sous sa forme chlorure de magnésium peut être utilisé en agriculture pour le traitement des sols, mais également en substitut du sel pour dégeler les routes ou encore, après réduction, sous forme de métal léger pour l’automobile ou l’aéronautique. La silice, de son côté, est un épaississant utilisable dans les peintures, les pneus, le dentifrice…